De la Solitude

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Chère lectrice, 

En janvier 2021 j’ai intégré un cursus d’art botanique. Je possédais alors une base de connaissances en dessin et en peinture, mais j’avais tendance à me disperser et je sentais qu’un cadre pouvait m’aider pour progresser. J’avais été surprise, en lisant les détails du contrat d’inscription, que l’on nous demande d’être discret sur notre participation, de ne pas divulguer nos notes, ni le contenu des observations de nos tuteurs sur les réseaux sociaux, insistant sur le caractère solitaire de la vie d’artiste. Je n’ai plus en tête les mots exacts, mais il était écrit en substance : « nous savons que l’isolement peut-être déstabilisant, cependant le travail de l’artiste se nourrit de solitude ». Tout au plus étions-nous autorisés à former un groupe Facebook par promotion, mais vu le peu d’informations sur lesquelles nous avions le droit d’échanger, autant dire que les conversations, dans ce groupe, n’ont jamais rien produit de très substantiel et, si des liens ont été tissés entre certains élèves, ce n’est certainement pas par ce biais.

Pour tout vous dire, le petit laïus sur la solitude de l’artiste m’avait paru un peu téléphoné. Je ne l’ai pas pris très au sérieux. J’avais été acceptée, ce qui me semblait déjà en soi un miracle, et je brûlais de commencer à travailler sur mon premier devoir.

Mais dès la première consigne, je déchantais ; elle consistait en trois dessins sur diverses thématiques et c’est bien simple, tout ce qui m’était demandé me semblait au-delà de mes capacités. Je passais les premières semaines à explorer, puis rejeter toutes les idées qui me venaient, m’accrocher à une piste, l’abandonner, revenir dessus, avoir peur d’être prise par le temps… Pour couronner le tout, il n’y avait pas véritablement de « cours » pour m’apprendre les techniques dont je pensais avoir besoin et me dire comment faire ce qu’on attendait de moi ou me guider. Sans aucun interlocuteur, ni professeur, ni compagnon de route, je me retrouvais seule avec mes idées, le mince bagage de connaissances que je possédais et des rivières de doute. Alors que j’avais voulu intégrer ce programme précisément pour être prise par la main, apprendre plus vite et gagner du temps, je me sentais désespérément livrée à moi-même. Il m’a fallu quelques mois et plusieurs devoirs pour comprendre que c’était ça, précisément, l’enseignement que je devais recevoir.

L’apprentissage de la solitude.

Chacune des dix peintures et dessins que j’ai rendu au cours des deux ans qui se sont écoulés depuis est né de cette solitude et, au point où j’en suis, je peux dire qu’elle m’est toujours aussi inconfortable. Pourtant, je sais désormais combien elle m’est précieuse et nécessaire. C’est dans la solitude que je suis contrainte d’aller débusquer en moi ce que je cherche, là où mon mouvement naturel consiste à me perdre dans la recherche d’inspiration, d’idées, de nouvelles techniques, de conseils et d’avis de toute sorte.

La solitude, j’ai fini par le comprendre, nous dépouille de tout ce qui n’est pas vraiment nous -même. Elle permet d’entrer dans cet espace où plus rien n’existe en dehors de nos propres outils – imaginaire, compétences, savoir, énergie, cœur – pour que de cette page blanche émerge quelque chose. D’ailleurs, est-il même seulement possible de plonger en soi-même, autrement que dans la solitude ?

Toutefois, j’ai beau avoir compris son importance, c’est une expérience que je ne parviens toujours pas à trouver évidente et j’envie de tout mon coeur les artistes qui la voient sous les traits d’une compagne agréable. Mais qu’importe ! À moi de nous aider à cohabiter, ma solitude et moi. Et pour cela, je développe toutes sortes d’habitudes et de petits rituels. Par chance, l’aquarelle s’y prête beaucoup. Tout un petit temps de préparation est nécessaire avant de commencer à peindre : changer l’eau, humecter les pinceaux, préparer de nouveaux mélanges ou humidifier ceux de la veille… Chaque geste m’aide à entrer dans mon temps de peinture. J’ai aussi pris l’habitude de diminuer les tentations comme “aller me faire un thé” ou “grignoter un truc” en ayant ces éléments à portée de main. Enfin, comme en dépit de tout cela, je reste prompte à me lever pour un oui pour un non, j’ai pris l’habitude d’écouter podcasts et livres audio qui me tiennent littéralement vissée à ma chaise. Enfin, je n’hésite pas à utiliser une application (OffScreen) qui me coupe l’accès à toute les distractions de notre siècle, sur lesquelles je suis tentée de me ruer dès que je vois poindre une difficulté.

La nature solitaire de la création artistique est sans doute la plus grande leçon que j’ai apprise, au cours de ces deux dernières années. Et de fait, j’ai fait de grands progrès. Même si le chemin vers ce à quoi j’aspire me semble encore très long, je peins aujourd’hui d’une manière dont je ne me serais jamais crue capable.

Est-ce une façon de dire que l’enseignement, l’apprentissage et le partage sont inutiles ? Que tout doit surgir de nous-même ? Non, évidemment. Au cours des deux ans écoulés, j’ai aussi suivi des cours en ligne, des masterclass, des projets pas à pas comme ceux que je propose dans le Club d’aquarelle, des conférences… Mais j’ai appris a dissocier ces moments d’apprentissage de mon temps de création qui, lui, s’exerce dans la solitude.

Parmi les conseils que je vois souvent sur le fait de “trouver son style” ou disons, une voie qui nous soit propre, je lis beaucoup de choses telles que « cherchez votre palette signature » ou « choisissez une niche » ou encore « faites des tableaux d’inspiration ». Ces conseils sont excellents, je n’en doute pas. Mais en ce qui me concerne, j’en suis au point de ma pensée où la seule suggestion que je voudrais faire à une personne qui désire créer quelque chose c’est :

Donnez-vous des temps pour apprendre, emmagasiner des connaissances et des techniques, oui. Mais surtout enfermez-vous au calme et débrouillez-vous pour tenir à distance toutes les distractions auxquelles vous vous savez succomber facilement. Choisissez un projet peu importe lequel et plongez en vous-même. Votre sujet, en tant que tel, n’est pas si important, ce qui compte, c’est simplement de vous saisir de tous les outils dont vous disposez au-dedans de vous et, à partir de là, commencer à créer. Je crois désormais que l’art ne peut venir que de là. Exactement de cet endroit là.

À jeudi prochain,

Anne-Solange

17 réflexions sur “De la Solitude”

  1. Cela correspond assez bien à ce que je vis lorsque j’ai besoin d’écrire. Il me faut une bulle (généralement faite de musique dont je ne comprends pas les paroles ou juste des instruments) pour me connecter à ma créativité. Je suis là sans être là. Un peu comme en apesanteur. C’est doux et profond. Et quand je bloque, je reprends conscience de mon environnement, sans quitter mon clavier, j’observe la vie par la fenêtre, je laisse mon cerveau se reposer et travailler en parallèle. C’est un état que j’ai du mal à atteindre mais lorsque j’y suis… c’est un plaisir sans nom. Et le résultat est bien meilleur. D’ailleurs en lisant tes mots, j’ai fait un parallèle avec la cérémonie du Thé :)

    1. Anne-Solange Tardy

      C’est beau, la manière dont tu décris ces moments. Je ne connais rien à la cérémonie du thé, mais ton message donne envie d’en apprendre davantage :)

  2. Marie-Claude

    C’est très intéressant Anne Solange, mais plonger en soi c’est bien difficile et parfois impossible.
    Belle journée

    1. Anne-Solange Tardy

      Bonjour Marie-Claude,
      C’est vrai. J’aurais du le préciser. En repensant à ce que j’ai écrit, cela ressemble un peu à un accès facile qu’il suffirait de convoquer, mais non, ça ne l’est pas toujours. Et comme tu l’écris, c’est parfois impossible.
      En y réfléchissant, je crois d’ailleurs que c’est parfois même une des raisons qui me pousse à prendre un cours : il ne s’agit pas forcément d’apprendre quelque chose, mais quand rien de personnel ne vient, cela me permet d’avancer avec l’aide de quelqu’un.

  3. Merci, cela me parle particulièrement en ce moment que je suis en train de créer ma petite entreprise… D’ailleurs, je crois que l’on peut aussi plonger en soi en compagnie d’un.e thérapeute :-) C’est mon métier ;-)
    Enfin, je suis curieuse d’en savoir plus sur l’application que vous utilisez : offscreen, est-ce que ça existe pour les ordinateurs… J’en aurais bien besoin. Merci !

    1. Anne-Solange Tardy

      Bonjour Julie, Oui, c’est vrai, on peut plonger en soi a l’aide d’un ou une thérapeute. Ce n’est sans doute pas propice à la création en soi, mais ce peut être un moyen d’apprendre à accéder à cet espace ?

    2. Anne-Solange Tardy

      Et concernant Offscreen, je l’utilise sur mon téléphone (un iphone), je ne sais pas si cela existe aussi pour les ordinateurs, mais il me semble que oui.

  4. Exactement là, au bord de ce précipice, je suis, les yeux fermés, le souffle coupé et le silence prêt à me happer toute entière…
    Vais-je me laisser tomber dans le vide ou encore courir très vite – les yeux fermés toujours- en sens inverse ?
    À jeudi

  5. Béatrice Henry

    Que ça me fait du bien de lire les mots que je ressens quand je dessine… avec soi et son dessin je ne me sens pas seule…??
    Je pense que toute passion apporte ces moments de solitude….???
    Béatrice

    1. Anne-Solange Tardy

      C’est vrai que la peinture en train de prendre forme est une présence. Je n’y avais jamais pensé sous cette forme, mais je partage votre avis. Merci

  6. Merci pour ce texte émouvant, comme toujours. J’ai une question : est-ce que l’écriture te semble nécessité également cette solitude ?

    1. Anne-Solange Tardy

      Bonjour Charlotte, merci pour votre message. C’est une bonne question ! Bien sûr je ne peux répondre que pour moi, mais je crois oui. Comme un moment d’intimité entre soi et ce qu’on écrit. Mais ce serait intéressante de connaitre le point de vue d’autres artistes :)

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